Bestie di scena. Emma Dante aux prises avec l’histoire et la genèse du monde.

Revoici au Théâtre du Rond-Point, comme les saisons précédentes et jusqu’au 25 février, la créatrice et metteur en scène palermitaine Emma Dante et sa troupe, la compagnie Sud Costa Occidentale. Quatorze comédiens, comédiennes, danseurs et danseuses, nus: Emma Dante les expose, les exhibe pour arriver à l’essence de l’humain. Ce sont les «Bêtes de scène» (Bestie di scena), titre de sa dernière création présentée l’été dernier à Avignon. Des images pourraient offusquer les mineurs: ne cliquez que si vous êtes adultes et consentants! Facebook en a bloqué la publication…

Crédit photo: Stéphane Trapier

« Dis donc … tu crois que le spectacle a déjà commencé ? … ça fait tout de même déjà dix bonnes minutes qu’ils tournent en rond ».

Et c’est comme ça que nous avons peut-être raté le big-bang originel d’Emma Dante. Mince alors!

Comme un vol d’oiseaux, la troupe s’échauffe sur le plateau, marquant le tempo du talon.

Gymnastique sportive et intensive, le mouvement s’accélère et le groupe des 14 acteurs-danseurs, hommes et femmes, se ressoude autour d’un triangle de plus en plus serré. Le rythme aussi, binaire, atteint, voire dépasse les 100 km/heure ou, à vous de choisir si vous préférez, les 100 battements par minute (plus musical).

« E basta, alla fine ! »

Voilà qu’ils commencent à s’essuyer avec leurs vêtements, avant de les lancer au-delà du plateau … et c’est déjà un premier contact avec le public, qui reçoit en cadeau leurs gouttes de sueur.

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Une fois débarrassés de leur tenue d’entrée en scène, les voici tous en rang, nus, gênés, cherchant à cacher seins et sexes comme ils le peuvent, et nous, nous arrivons au Paradis, étape successive du big-bang originel, selon Emma Dante.

La nudité enfantine est onirique, mais celle des adultes nous ramène à ces moments exquis où la pomme (fruit parfumé et délicieux, ici transfiguré) n’avait pas encore corrompu les esprits qui baignaient alors dans la sérénité.

D’atomes en sous-vêtements ou jogging et tee-shirt qui tournaient dans la première scène on passe alors aux personnes, bien vivantes celles-là, qui, une fois chassées du Paradis, doivent affronter les basses besognes de ce monde : se nourrir, se défendre, voire enfanter … Adam et Eve, Caïn et Abel, mais jouent aussi au ballon (notre jeu préféré à tous depuis la plus tendre enfance, chattes et chatons compris).

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Une lumière caravagesque (La course à l’abîme aura impressionné jusqu’en Sicile) baigne danseurs et danseuses, glisse soyeuse sur leur peau … et on commence même à oublier le centre de nos intérêts juvéniles. Bien que zizis et zézettes soient toujours là et bien en vue, le regard est capturé par l’expression des artistes sur scène, l’élégance de leur mouvements, l’amplitude de leurs gestes, le rayonnement de leur déplacements … malgré l’étonnement d’une poupée mécanique.

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Aurions-nous à ce stade déjà atteint la Renaissance et le château de Versailles ?

Allez, un bon coup de balai, et voilà qu’un bidon d’eau débarque des coulisses à la scène! Et, nus, ils vont boire cette eau, giclent comme des fontaines, glissent sur le plateau mouillé.

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Alors une chanson suave emplit la salle et réconforte le public par la douceur de sa mélodie (pas facile de suivre l’itinéraire de la troupe, sans la réduire à une banale succession de morceaux amusants).

Mais la violence de notre XXIème siècle est là et s’exprime maintenant bruyamment, contrairement à la sérénité silencieuse, en nous ramenant aux primates …de même qu’à la mal bouffe (les garçons imitent les singes ingurgitant des cacahuètes).

L’alignement final nous aura tous mis à nu …

Merci à Emma Dante et à ses 14 amies et amis de scène, à Jean-Michel Ribes pour nous avoir ramené ce spectacle directement d’Avignon et à toutes les équipes du Théâtre du Rond-Point, sans oublier la librairie Actes Sud.

Un spectacle … à croquer sans modération (dixit celui qui est en plein jeûne détox).

Giampaolo Bertuletti

Photos copyright Masiar Pasquali

Références utiles :

  • Le très bel article La danse à même la peau de Rosita Boisseau (Le Monde 29-30/10/17), que je garde précieusement dans mes archives.
  • Le dossier de presse du théâtre, préparé sous la responsabilité d’Hélène Ducharne, qui m’a confirmé les impressions perçues lors du spectacle (je les lis après coup, sauf pour les détails techniques).
  • La course à l’abîme (sur Caravage) et Le Radeau de la Gorgone (sur la Sicile) de Dominique Fernandez (Grasset 2003 et 2008).

*****

BESTIE DI SCENA (BETES DE SCÈNE) D’EMMA DANTE – THEATRE DU ROND-POINT
6 février – 25 février, 21h
Dimanche 15h – Relâche les lundis et le 13 février

Un spectacle de : Emma Dante
Avec : Elena Borgogni, Sandro Maria Campagna, Viola Carinci, Italia Carroccio, Davide Celona, Sabino Civilleri, Roberto Galbo, Carmine Maringola, Ivano Picciallo, Leonarda Saffi, Daniele Savarino, Stéphanie Taillandier, Emilia Verginelli, Marta Zollet
Et avec : Daniela Macaluso, Gabriele Gugliara
Décors : Emma Dante
Lumières : Christian Zucaro

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Emma Dante

Actrice, réalisatrice, metteuse en scène et auteure fidèle au Rond-Point, Emma Dante y a présenté Mpalermu ; Mishelle di Sant’Oliva ; Le pulle ; Vita mia ; Trilogia degli occhiali et Le sorelle Macaluso, évènement de la saison 2014-2015. Figure importante de la scène internationale, Emma Dante fonde à Palerme en 1999 sa compagnie Sud Costa Occidentale et transporte dès lors, sur les plateaux des mondes habités de cauchemars et de créatures tendres, spectacles-manifestes récompensés par des prix internationaux lors de festivals de théâtre européens. Elle revient aujourd’hui à la source de son art. Elle puise l’essence même du travail de l’artiste : la puissance de l’acteur, la vie monstre de la bête de scène. (Pierre Notte)

En savoir plus sur Bestie di Scena :

https://www.theatredurondpoint.fr/spectacle/bestie-di-scena/

Théâtre du Rond-Point
2 bis avenue Franklin D. Roosevelt – 75008 Paris

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Giampaolo Bertuletti
Giampaolo Bertuletti (1956 – Lecco, Italia), ex presidente dell’associazione parigina Italo Calvino, langue et civilisation italiennes.

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