La vie suspendue (La Vita ferma) de Lucia Calamaro

Et la vie est vraiment en suspens le temps que se déploie sur la scène de l’Odéon-Théâtre de l’Europe cette magnifique pièce qui nous vient d’Italie. Difficile de trouver un spectacle et un texte d’une telle intensité, qui fasse sourire, voire rire sur un thème aussi douloureux et triste que celui de la mort, du souvenir de “nos morts”. A ne pas manquer ! Tarif préférentiel pour les lecteurs d’Altritaliani. A l’affiche jusqu’au 15 novembre.

On rentre dans la pièce comme dans un appartement bourgeois, où le souvenir de l’amie qui vient de disparaître nous la rend si vivante…

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Et Simona le dit, à un certain moment, comme pour reprocher la surprise qu’exprime les présents à son retour inattendu : elle a été et elle reste dans la mémoire de ceux qui l’ont bien connue … mais comment, combien de temps ?

Un peu, beaucoup ou seulement par les quelques moments qui ont marqués leur esprit ?

Lucia Calamaro nous questionne : quand il devient difficile, voire impossible de se souvenir de quelqu’un dans son intégralité et que des vides s’installent, que reste-t-il de toute personne qui disparait?

Dans une pièce profondément humaine, où le bon Dieu n’a pas été invité, chaque personne vit deux fois : quelque temps seulement avec qui est encore parmi nous, voire l’éternité pour tous les autres.

Et Simona revient pour rappeler à son mari toute sa poésie stellaire, sa passion pour la danse (son jardin particulier), ses petites manies, les livres commencés et perdus maintes fois … dans un dialogue, parfois hésitant, mais toujours dense, parsemé des découvertes philosophiques qui ont façonné l’univers de Lucia Calamaro (de Saint Augustin à Eibl-Eibesfeldt, de Paul Ricoeur à Rudolf Otto, parmi d’autres), un dialogue qui se détend par ces moments d’ironie et d’humour légers comme un ballon qui s’envole.

Roberto est un doux émotif, qui se retient pour ne pas faire s’échapper sa femme – par quel miracle est-elle revenue? – tendrement accroché à leur vie commune, désormais derrière eux, et qui éclatera dans une colère explosive lorsque le médecin lui laissera comprendre qu’il n’y a plus rien à faire pour Simona … mais il faudra attendre le deuxième des trois actes qui composent la pièce.

En réaction au caractère de ses parents, Alice (qui s’annonce dès le prologue) surmonte les angoisses de son enfance et s’affirme au troisième acte lorsqu’elle revoit, longtemps après, son cher papa… au cimetière, balayé par une ouvrière qui ressemble étrangement à maman.

Contrairement à la mode actuelle, point de décors, d’images, de films ou de musique – « une béquille » considère Lucia Calamaro dans l’interview qu’elle nous a accordée – pour que l’“émotion rationnelle” dégagée par la parole puisse interpeller le spectateur attentif.

La Vita ferma, photo de Lucia Baldini

Les mouvements rectilignes des acteurs, au mieux triangulaires, jamais ronds, excepté lorsque Simona danse avec ses voiles rouges, un plateau d’un blanc éclatant meublé juste de quelques chaises ou d’un fauteuil (comme chez le psy), donnent la perspective du tableau et cela nous suffit.

Après tout, on aura été invités à partager le souvenir laissé par un être cher disparu, pas à contempler les tableaux accrochés au mur ou bien à découvrir le dernier disque d’un grand chef d’orchestre…

D’ailleurs, on comprends que la mise en scène et les textes ont été affutés, élimés, chaque mot pesé méticuleusement, avec précision… pas seulement par Lucia Calamaro, mais également par les acteurs (« il y a des textes qu’on peut écrire, mais qui ne sauraient guère être mis en scène » toujours Lucia dixit) : voilà pourquoi elle lui faut un certain temps, plusieurs mois de répétitions, avant d’atteindre ce vertige expressif… mais tellement tendre, léger, comme un soupir soufflé lors d’une nuit étoilée, sur un balcon ouvert au monde (seul endroit public clairement accepté par Simona).

Il aura fallu toute la sensibilité de Simona Senzacqua, Riccardo Goretti et Alice Redini (en ordre d’apparition physique sur le plateau) pour satisfaire les nombreuses exigences de Lucia Calamaro … à nous autres spectateurs d’en apprécier toute la bravoure.

Nous, qui aurons été interpellés continuellement, jusqu’à nous entendre poser la question « Et vous, qu’en pensez-vous ? »

Enfin, un grand merci à Stéphane Braunschweig – directeur de l’Odéon – pour avoir fait revenir la grande dramaturge italienne Lucia Calamaro et ses amis acteurs à Paris (il y a deux ans, ils s’étaient déjà produits au Théâtre de la Colline, où le même Stéphane nous avait fait découvrir L’origine du monde) et à toute l’équipe du Théâtre de l’Odéon – et de la salle Berthier.

… Toc-toc-toc, on peut entrer ? Que le spectacle commence !

Venez, mes amis, partager ce moment de souvenir et de douceur… mais éteignez vos portables, svp, car ils n’ont vraiment rien à faire ici ce soir !

Giampaolo Bertuletti

Dramaturge, comédienne et metteure en scène incontournable de la scène italienne contemporaine, Lucia Calamaro fonde la compagnie Malebolge en 2003 et enseigne la dramaturgie à l’école Paolo Grassi de Milan. Sa pièce L’Origine du monde remporte trois Prix Ubu en 2011. La revoilà à Paris avec son spectacle La Vita ferma, qui se joue au Théâtre de l’Odéon du 7 au 15 novembre, et à l’occasion de la sortie chez Actes Sud, collection papiers (octobre 2017 – 17€), de ses deux pièces, La Vita ferma et L’Origine du monde, dans la magnifique traduction de Federica Martucci.

*****

THEATRE: LA VITA FERMA (LA VIE SUSPENDUE)
Texte et mise en scène Lucia Calamaro
Odéon – Théâtre de l’Europe / Salle Berthier 17e
7 – 15 novembre 2017
En italien, surtitré en français

du mardi au samedi 20h
dimanche 15h
Durée 2h45

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Présentation officielle:

Lieu où l’on voit, le théâtre est une machine à fantômes. Depuis toujours, il fait place aux absents. C’est en termes théâtraux que Lucia Calamaro (triple lauréate en Italie du prestigieux prix UBU) pose la question de La Vita ferma : celle de ces individus que sont les morts, celle de “leur façon d’exister en nous et en dehors de nous”.

Chez Calamaro, la gravité des “drames de la pensée” n’exclut pas un humour certain, nourri de ressassements obsessionnels et d’intelligence ironique. Sur le plateau d’un blanc éclatant, les couleurs vives des costumes et des meubles sont autant d’indices vitaux de résistance. Les trois acteurs s’interpellent, s’agrippent allègrement avec une tendresse et un appétit de jeu contredisant les signes extérieurs du deuil. Un hommage éloquent à l’amour de la mémoire, à la mémoire de l’amour.

En savoir + http://bit.ly/2xxR4Yy

Offre exceptionnelle pour les lecteurs Altritaliani:
tarifs préférentiels de 29€ au lieu de 36€ en catégorie 1, et de 21€ au lieu de 28€ en catégorie 2, valable jusqu’au 15 novembre, date de la fin de l’exploitation de ce spectacle, sur mention du code ALLVITA

Réservations:
Au guichet ou par téléphone au 0144854040 avec le code ALLVITA
Sélectionnez en choisissant votre place le tarif “PROMO D” et précisez le code ALLVITA dans le champs “Code promo”. 1€ de frais de gestion sur internet.
(Dans la limite des places disponibles)

Lieu: Odéon – Théâtre de l’Europe /salle des Ateliers Berthier
boulevard Berthier, Paris 17e – M°Porte de Clichy, ligne 13

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Giampaolo Bertuletti
Giampaolo Bertuletti (1956 – Lecco, Italia), ex presidente dell’associazione parigina Italo Calvino, langue et civilisation italiennes.

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