Rodin vu d’Italie, un livre de Barbara Musetti

La librairie italienne Tour de Babel en partenariat avec Altritaliani, à l’occasion de la parution de «Rodin vu d’Italie – Aux origines du mythe rodinien en Italie (1880-1930)» (Editions mare & martin), vous invitent le mercredi 31 mai 2017 à partir de 19h30 à rencontrer l’auteur Barbara Musetti, historienne de l’Art et enseignante à l’Ecole du Louvre, en compagnie de Colin Lemoine, historien de l’art lui aussi et critique d’art. Ce dernier nous présente ici ce bel ouvrage.

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La barbe. La longue barbe qui termine un visage pensif, volontiers sévère. Telle est, physionomique, l’une des ressemblances entre Auguste Rodin (1840-1917) et Michel-Ange (1475-1564), laquelle permit à Antoine Bourdelle, dans un fameux portrait (1909), d’insinuer une contiguïté entre les deux artistes, et ce sous l’égide de Moïse, autre barbu venu dessiner une fraternité trinitaire.

Le remarquable ouvrage de Barbara Musetti, qui n’est autre que la publication de sa thèse de doctorat soutenue en 2008 à l’Université Paris IV-Sorbonne, investigue, précisément, la construction du mythe rodinien en Italie, en ce pays majeur qu’irrigue une tradition aussi prestigieuse que coercitive. Comment trouver une place, sa place, sur cette terre que peuple le souvenir indélébile de Donatello, Verrocchio, et surtout Michel-Ange? Comment ne pas diluer sa singularité dans cette péninsule kaléidoscopique, et comme fragmentée, à l’heure où la question identitaire est un enjeu scabreux ? Comment, après ce passé vertigineux, être à la hauteur? Comment, dans cette nation embryonnaire, n’être pas un simple étranger mais aussi un artiste original?

Oreste Bertieri: Rodin et Giovanni Cena sur la Place Victor Emmanuel à Turin. Paris, Musée Rodin, Ph. 836

Graphiquement élégant, ce livre broché explore donc moins l’œuvre de Rodin que sa réception plurielle en Italie, depuis une première exposition florentine, en 1880, jusqu’à la participation du maître à l’extraordinaire Exposition internationale des Industries et du Travail à Turin, en 1911, en passant par la quatrième Biennale de Venise qui, en lui réservant une présentation monographique en 1901, sacre le sculpteur et augure d’un rodinisme aux mille et un visages.

En Italie, selon des nuances et des modalités subtiles décortiquées sans faille, Rodin sera exposé, acheté, conspué, adulé. Précieux thuriféraires, familiers de l’homme, Vittorio Pica, Giovanni Cena ou Ugo Ojetti vantent ainsi un artiste polymorphe, sculpteur et dessinateur, dont les œuvres, en tant qu’elles participent d’un « socialisme humanitaire », seraient susceptibles de régénérer la scène artistique italienne. La scène artistique, et politique, car le Français cristallise tôt des débats nationaux et des polémiques patriotes. En Rodin, l’Italie se mire, s’interroge. Face à Rodin, l’Italie prend la mesure de la sclérose de ses musées, de la frilosité de sa critique d’art, de la timidité de ses collectionneurs, de l’asphyxie de son édition.

Marshall John: Rodin coiffé d’une calotte chez John Marshall sur une terrasse en 1914, Paris, Musée Rodin, Ph. 1143

Symétriquement, Rodin entend pallier ces carences institutionnelles et médiatiques en élaborant une véritable stratégie susceptible de lui offrir prospérité et visibilité: s’improvisant commissaire et scénographe des expositions dont il est l’hôte majuscule, Rodin photographie ses sculptures, encadre ses dessins, supervise la muséographie et ne laisse rien au hasard, érigeant la lacune en opportunité – celle de devenir un artiste total, un chef d’orchestre implacable.

Giorgio Kienerk: Rodin, 1906, lithographie. Rome, Fondation Nievol Querc i ( Couverture de L’Avanti della domenica du 15 juillet 1906, n° 27, numéro spécial consacré à Rodin )

Partant, avec une langue précise, soucieuse du détail et du récit, Barbara Musetti écrit une véritable histoire sociale de l’art où confluent des enjeux politiques et des querelles esthétiques résonnant avec l’actualité la plus saillante, transalpine ou hexagonale, à l’heure où culture et souveraineté s’entretissent, à l’heure où l’art est inexorablement convoqué, comme un mantra, pour déjouer les maux identitaires. Qui referme le livre n’aura pas seulement goûté le plaisir que procurent des images savoureuses, souvent inédites. Qui referme le livre comprendra qu’il tient là une pierre angulaire de la construction, trop souvent cacophonique, de la glose rodinienne, mais aussi une formidable histoire italienne du goût et des idées.

Colin Lemoine
Historien de l’art et critique d’art

RENCONTRE

Mercredi 31 mai 2017 à partir de 19h30
Librairie Italienne TOUR DE BABEL
10, rue du Roi de Sicile – 75004 Paris
M Saint-Paul
Tél. 01 42 77 32 40

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