Naples, capitale européenne du théâtre

Créé l’an passé, le Napoli Teatro Festival Italia affirme son envergure internationale en invitant des troupes du monde entier mais aussi en impulsant des projets de création transnationale. Une autre vision de la mondialisation possible ?

De Naples, Pasolini écrivait dans ses Lettres luthériennes qu’elle était « la dernière métropole plébéienne ». (…) « C’est Naples la prolétaire contre Bologne la prospère, c’est hier contre aujourd’hui, c’est la création contre le confort ! » Longtemps alanguie dans la joyeuse cohue de ses charmes rudes, la ville est devenue depuis l’an dernier l’intense foyer d’une ébullition théâtrale : choisie parmi vingt séduisantes candidates à l’issue d’un concours organisé par le ministère des biens et des activités culturelles du gouvernement Prodi, la cité de Pulcinella fut désignée pour accueillir le nouveau festival international de théâtre italien. « Naples est, avec Rome, Milan et Venise, une des quatre grandes cités du théâtre, marquée par des personnalités telles qu’Eduardo Scarpetta, Rafaele Viviani, Eduardo de Filippo et aujourd’hui Enzo Moscato, qui ont inventé une langue théâtrale napolitaine, commente Renato Quaglia, directeur artistique. Mais Naples est aussi sévèrement frappée par la crise économique, la criminalité et la paupérisation. Ce festival peut contribuer au dynamisme de la ville et au rééquilibrage entre le Sud et le Nord de l’Italie. »

Venu de la Biennale de Venise, où il officia durant neuf ans comme responsable des arts de la scène puis directeur général, ce flegmatique et habile intendant a d’emblée affirmé l’envergure internationale du festival, en invitant des compagnies du monde entier, en nouant des collaborations avec le Théâtre de la Ville de Paris, le Festival d’Edimbourg et le Wiener Festwochen, mais aussi en initiant des projets transnationaux qui unissent artistes italiens et étrangers.
Si certains habitués des circuits internationaux se côtoient dans la programmation, tels Christoph Marthaler, qui vient avec Riesenbutzbach. Eine Dauerkolonie, ou Matthias Langhoff, qui mène un laboratoire autour d’Heiner Müller, priorité est donnée aux propositions singulières. « Je souhaitais que les artistes conçoivent des projets « exceptionnels », c’est-à-dire différents des productions jouées durant la saison. J’ai rêvé cette manifestation non comme une vitrine de spectacles mais pour essayer d’impulser un développement dans la ville et dans le système théâtral italien. Nos artistes doivent se rendre compte que le théâtre ne s’arrête pas aux frontières du pays. Ils doivent s’ouvrir sur l’international, lâche Renato Quaglia. Sauf exceptions, comme Romeo Castellucci ou Pippo Delbono ou Caterina Sagna, ils gardent une vision nationale de leurs modes de travail et de leur espace de circulation. Or, l’art contemporain est international, à l’instar des arts plastiques, de la musique. Nous avons besoin de confronter nos points de vue, nos cultures mais aussi nos manières de faire et nos dispositifs culturels. »

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D’où une politique volontariste de commandes et de coproductions, en lien avec des partenaires étrangers. Pour espérer dérouter les routines de création, il faut décaler les regards, déplacer les habitudes, inventer d’autres protocoles de travail. « Une “crise” doit survenir dans le processus, par la rencontre d’artistes de culture, de langue et de tradition différentes. » Cette année, plusieurs auteurs ont été accueillis en résidence pour écrire des textes imprégnés de l’atmosphère napolitaine et une dizaine de projets transnationaux a été lancée. Certains ont créé in situ, comme Karole Armitage a fait Made in Naples, chorégraphie sur Pulcinella, personnage emblématique de la Commedia dell’arte née au XVIIe siècle. Des metteurs en scène étrangers ont été invités à travailler avec des comédiens italiens, sélectionnés sur audition à travers tout le pays. « Nous avons reçu 1500 candidatures, preuve que la jeune génération est aujourd’hui prête pour l’aventure à l’international, contrairement à la mienne qui balbutiait à peine les langues étrangères. » Pour L’Européenne par exemple, l’auteur et metteur en scène David Lescot a mélangé des comédiens français, italiens et portugais. « Nous avons créé une “Compagnie théâtrale européenne” non pas permanente, mais une troupe qui change chaque année en fonction des projets. David Lescot prolonge l’expérience lancée l’an passé par Virginio Liberti et Annalisa Bianco pour Les Troyennes. » explique Renato Quaglia. Désopilante et cinglante satire musicale sur la multiplicité des langues et les ratés de la communication, L’Européenne s’amuse de l’utopie d’un projet culturel européen et de la position de l’artiste dans la société normée selon les gris technocrates. Dans Les Villes visibles, scénographiées pour l’extraordinaire site de l’Abergio dei poveri, Giorgio Barbario Corsetti se saisit d’un texte commandé à Chay Yew, auteur singapourien installé à New York, avec des acteurs italiens, chinois et singapouriens.

Le frottement des langues et des cultures à même le plateau trace une des lignes de force du Napoli Teatro Festival Italia : « La multiplicité des langues en Europe et les débats sur le multilinguisme renvoient à l’histoire italienne, qui n’a connu qu’une unification linguistique tardive et artificielle. Chaque région possédait son dialecte. L’Italien sonnait comme la langue de l’administration, de l’école et de la télévision. Le désir de faire entendre la diversité des langues sur la scène relève pour moi d’un défi contre l’homologation des langages, des différences. »

Internationale certes, l’édition 2009 offre aussi un panorama de la création italienne, que les metteurs en scène s’emparent des classiques, comme Antonio Latella, avec Trilogia della Villeggiatura de Goldoni, ou de textes contemporains, comme le Napolitain Enzo Moscato avec Pièce noire, Daniele Salvo avec Nel mondo grande e terribile d’Antonio Tarantino.

Si les résultats artistiques ne répondent pas toujours aux attentes, butant sans doute sur des alliances trop arrangées ou sur des esthétiques désuètes, le projet vise le long terme et pollinisera au fil du temps le paysage théâtral italien. « Les artistes impliqués dans ces aventures transnationales transmettront leur expérience et influeront par capillarité. Nous tentons d’inventer un nouveau processus. Je ne sais pas mettre des jardinières fleuries aux fenêtres pour décorer la ville le temps éphémère d’un petit printemps, mais je veux planter des arbres. »

Quelques 33 lieux, 250 représentations, 2500 artistes, 12 langues, 18 pays, 20 créations, 28 textes originaux, 6,5 millions d’euros de budget… Traduite en chiffres, la manifestation brandit fièrement ses ambitions. Reste à laisser faire le temps. A suivre donc.

Napoli Teatro Festival Italia, jusqu’au 28 juin 2009.

Renseignements : +39 0445 230 313.

Le 11 juin 2009 par Gwénola David

Source : Mouvement

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