Elections italiennes 2013. Marc Lazar: un observateur privilégié [Interview].

Des élections législatives se dérouleront prochainement en Italie (les 24 et 25 février 2013) et ne seront pas sans conséquences pour le pays, l’Europe et l’avenir de l’euro. Berlusconi a-t-il des chances de gagner? Mario Monti devra-t-il céder la place à P. Bersani, leader du PD et favori des sondages? Beppe Grillo et Antonio Ingroia réussiront-il une percée spectaculaire? Interview sur ce thème de grande actualité de Marc Lazar, politologue expert en questions italiennes, professeur à Sciences Po Paris et à la Luiss à Rome.


N.G.: Marc Lazar[[Marc Lazar, professeur d’histoire et de sociologie politique à Sciences Po Paris et à la Luiss-Guido Carli où il est président de la School of government. Editorialiste du quotidien La Repubblica.]], vous êtes un observateur attentif et averti de la campagne électorale qui se déroule actuellement en Italie en vue des prochaines élections. Qu’en pensez-vous? Il me semble qu’en France cette campagne est très peu suivie. Avez-vous aussi cette impression ?

M.L.: La campagne électorale italienne est courte, cette fois-ci. Pour le moment, elle est davantage caractérisée par des jeux tactiques, des effets d’annonce et des opérations médiatiques que par la confrontation entre de grands projets. La grande majorité de l’opinion française, pour le moment, semble relativement peu s’en soucier, occupée qu’elle est par les questions économiques et sociales et le débat sur le mariage pour tous. En revanche, les responsables politiques et économiques s’inquiètent du résultat de ces élections et de ses conséquences éventuelles pour l’Europe.

N.G. Après 20 ans de berlusconisme suivis d’une année de gouvernement « technique » sous la conduite de Mario Monti, à quel point ces élections sont-elles importantes pour l’Europe et l’avenir de l’euro ? Dans quelle mesure l’Italie met-elle en jeu sa crédibilité sur le plan international ?

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M.L. L’Italie a reconquis en un an, grâce à Mario Monti au premier chef mais aussi à l’ensemble de son gouvernement, une crédibilité européenne et internationale. Lorsque le président du Conseil participe aux différentes réunions des instances de l’Union européenne, en dépit des faiblesses de l’économie de l’Italie et de sa fragilité institutionnelle, il est écouté et respecté. Davantage, il a joué un rôle fondamental, notamment entre l’Allemagne et la France. Toutes les capitales européennes s’interrogent donc sur le résultat des élections italiennes. Mario Monti sera-t-il toujours en place ? Et si ce n’est pas le cas, quel rôle jouera-t-il ? Qui sera son successeur ? Quelle sera sa politique européenne ? Tous les sondages, pour le moment, montrent, qu’il est peu probable que Berlusconi l’emporte, et donc l’hypothèse la plus répandue, avec une victoire du Parti démocrate, sera celle de la continuité de la politique du gouvernement Monti en matière européenne. En revanche, les critiques répétées contre l’Europe venues de Beppe Grillo, de la Ligue Nord et de Silvio Berlusconi (qui, à dire vrai, ne sont pas toutes exactement identiques) inquiètent d’autant plus que l’on sait que les Italiens ne sont plus aussi euro-enthousiastes que par le passé. Sans être franchement devenus eurosceptiques, ils sont déçus de l’Europe. Quels effets auront, à plus long terme, sur les Italiens ces critiques réitérées de l’UE ?

N.G. On a l’impression que l’enjeu de ces élections n’est pas seulement la victoire de l’une ou l’autre des parties, mais celle de deux conceptions de la participation à la vie publique italienne: d’une part la politique et de l’autre le populisme ou si vous préférez, d’un côté la politique au sens noble du terme, avec une orientation idéale ou peut-être même idéologique, et de l’autre ce que Bauman le premier et Sartori ensuite ont qualifié de politique «liquide». Qu’en pensez-vous?

M.L. Je crois surtout que sur ces élections cristallisent trois des quatre grandes tendances contradictoires qui caractérisent la démocratie italienne : la montée en puissance de la démocratie du public, avec la personnalisation et la médiatisation à outrance de la politique, que Berlusconi incarne de manière exacerbée mais qui affecte aussi, sous d’autres formes, Pierluigi Bersani, Mario Monti et Beppe Grillo ; l’essor de la défiance envers la politique qui se traduit par le fort taux de personnes encore indécises et tentées par l’abstention ou le vote protestataire ; la volonté de rénovation des institutions politiques en reformulant l’offre politique, c’est ce que proposent selon des modalités différentes le PD et Mario Monti. Reste à savoir comment se traduiront ou pas dans les urnes les exigences de la démocratie participative : ceux qui, dans la société civile, la réclament à corps et à cri et qui la promeuvent se reconnaîtront-ils dans les compétiteurs qui sont en lice ?

N.G. Ces élections peuvent-elles être aussi l’heure de vérité entre deux conceptions diverses de l’économie et de la vie ? D’une part le libéralisme de ceux qui proposent malgré la crise de laisser toute liberté aux marchés financiers, et de l’autre une vision qui tend à asservir l’économie à la politique. Certains invoquent une plus grande équité fiscale, ou de réduire à zéro la précarité comme instrument de lutte contre le chômage, certains prônent même de renégocier les accords européens. Cette dernière hypothèse vous paraît-elle praticable en matière de “Fiscal compact” et de règle d’or budgétaire au vu des engagements pris par l’Italie?

M.L. Je suis frappé par la surenchère de promesses qui est en train de s’effectuer. Silvio Berlusconi promet de nouveau monts et merveilles, Mario Monti, qui semble apprendre très vite le métier politique, annonce des baisses d’impôts et la possibilité d’une reprise de la croissance. Le PD dit vouloir faire des politiques sociales. Les électeurs auront du mal à s’y retrouver. Depuis plus d’un an, Mario Monti a promulgué une politique de rigueur, d’austérité et de sacrifices qui a marqué les Italiens. Cette politique était soutenue par l’UDC, le PDL et le PD et ces deux derniers, maintenant, expliquent que l’on peut faire autre chose. Ces messages sont-ils crédibles sachant que tous les experts disent que l’Italie a encore un long chemin à parcourir ? Chacun sait que la marge de manœuvre sera étroite et que les chantiers seront innombrables et difficiles à entreprendre.

N.G. Cette campagne (électorale) d’hiver se déroule en grande partie à travers la télévision et internet. L’omniprésence de Berlusconi dans les media semble favoriser sa hausse dans les sondages puisqu’ il atteint aujourd’hui près de 20% des intentions de vote. Son succès vous semble-t-il possible? Si oui, quelles explications pourrait-on en donner ? Comment cela serait-il vécu au Parlement européen et plus largement au sein des institutions européennes ?

M.L. Je ne crois pas à un succès de Silvio Berlusconi. Mais je pense qu’il peut limiter les dégâts et c’est bien l’un de ses objectifs (l’autre étant de se sauver personnellement des poursuites judiciaires). Par son omniprésence à la télévision, ses attaques continues contre ses adversaires, ses déclarations fracassantes qui visent à organiser le débat autour de ses idées et de sa personne, sa dénonciation de la politique de Monti, notamment à propos de la hausse des impôts, et spécialement de l’IMU très impopulaire en Italie, il s’efforce de mobiliser son électorat. Le problème provient de la dissipation du charme berlusconien et de l’usure du leader. Une partie de ses électeurs est tentée par l’abstention, ou par le vote pour Grillo ou encore, pour ceux qui sont des modérés, par le ralliement à Mario Monti. Berlusconi peut néanmoins espérer, grâce à son accord avec la Ligue Nord et la loi électorale spécifique, réduire l’ampleur de la victoire du centre gauche au Sénat, voire l’empêcher d’obtenir une majorité dans cette Assemblée. Ce qui lui permettrait de peser sur la suite des opérations (formation du gouvernement, élection du futur Président de la République). Son pouvoir de nuisance pourrait donc être élevé. Par ailleurs, il y a désormais une crise italienne au sein du PPE, la plupart des dirigeants de celui-ci voulant se débarrasser du Cavaliere et jouant la carte Monti.

N.G. Venons-en au centre gauche. Ne vous semble-t-il pas que la défaite de Renzi aux primaires rendra plus difficile la victoire de Bersani et du centre gauche aux élections du 24 et 25 février? A mon avis, le succès de Renzi aurait tourné au ridicule le retour de Berlusconi, fait davantage obstacle à Grillo et peut-être éliminé toute équivoque sur le futur de l’Italie. Quelle est votre idée à cet égard?

M.L. Les primaires ont été un succès en termes de participation. Je ne sais pas ce qui se serait passé en cas de victoire Renzi. Ce que je constate c’est que le PD de Bersani est dans une situation paradoxale. D’un côté, il est porté par des sondages favorables qui l’amènent à penser qu’il gagnera. De l’autre, il se heurte à plusieurs difficultés. L’entrée en politique de Monti l’a surpris, et lui a enlevé une petite partie d’électeurs modérés qu’il essayait et espère encore séduire. Cela a amené Bersani à se déplacer plus sur la gauche d’autant que la concurrence d’Ingroia l’inquiète. Il a encore du mal à positionner sa campagne car il ne veut pas tomber dans le piège que lui tend une nouvelle fois Berlusconi, transformer ce scrutin en un plébiscite sur sa personne. Il doit se démarquer de Monti, qui lui décoche de redoutables flèches, sans aller trop loin dans la perspective de négociations pour la formation d’un éventuel gouvernement de coalition. Il doit expliquer à ses électeurs qu’il a soutenu l’action de Monti durant un an mais que dorénavant il critique celle-ci. Enfin, l’affaire, gravissime, de MPS lui a déjà coûté (il a baissé dans les intentions de vote) et si de nouvelles révélations se produisaient cela pourrait là encore peser beaucoup. Le navire du PD est donc bien parti mais son parcours est semé d’embûches !

N.G. L’éventualité d’une victoire de Bersani pourrait favoriser l’axe franco-italien avec Hollande, à la veille des délicates élections allemandes. Quels effets cela pourrait-il avoir en France et en Europe?

M.L. Les rapports entre François Hollande et Mario Monti sont excellents. En cas de victoire de Bersani, il n’y a a priori aucune raison que les relations franco-italiennes se dégradent, au contraire. Evidemment, cela pourrait avoir un impact sur les rapports de la France et de l’Italie avec l’Allemagne. Les effets politiques directs sur la France et sur l’Allemagne me semblent limités. Je ne crois pas, par exemple, qu’une victoire du centre gauche italien incitera François Hollande à accentuer son tournant social-libéral de cet automne et à amorcer une grande recomposition politique qui, pourtant, serait l’étape suivante et logique de son virage. Je ne pense pas non plus que la victoire de Bersani, venant après celle de Hollande, soit le signe annonciateur de la défaite d’Angela Merkel à l’automne prochain, même si on enregistre depuis quelque temps une remontée des forces de gauche au cours des élections qui se déroulent dans les pays de l’Union européenne.

N.G. Y a-t-il ou non des nouveautés dans ces élections et pensez-vous que le gouvernement pourra gouverner après les élections, du fait notamment que Berlusconi est à nouveau allié à la Ligue Nord, qui est loin d’en être enthousiaste, au point que le Cavaliere n’a pas pu être indiqué comme éventuel futur chef du gouvernement; que Bersani et une partie du PD penchent pour une coalition avec Monti (perspective à laquelle Vendola s’oppose) et qu’affleure la peur d’assister à un film déjà vu avec Prodi et Bertinotti. A votre avis, l’urgence et le « risque défaut » peuvent-il favoriser des choix plus responsables?

M.L. Il est trop tôt pour répondre à ces questions. Si le PD l’emporte, hypothèse qui, à ce jour, est la plus probable, il faudra voir s’il aura la majorité dans les deux Chambres ou dans une seule. C’est décisif pour la suite. Mais, en tout état de cause, la majorité PD-SEL ou celle élargie aux centristes (mais lesquels ?) sera complexe. Je ne crois pas trop à une instabilité (quoique…beaucoup dépendra aussi de savoir qui sera le nouveau président de la République). En revanche, je m’interroge sur la capacité de ce nouveau gouvernement à poursuivre des réformes indispensables et nécessaires. C’est la question clef pour le futur de l’Italie.

N.G. A propos de nouveautés, que pensez-vous de Beppe Grillo et du Mouvement 5 Etoiles? Avez-vous une idée de ce qu’on en pense en France et en Europe? Selon certains sondages, ce mouvement pourrait bien être la troisième force du futur parlement italien.

M.L. Beppe Grillo risque de faire un bon résultat comme Antonio Ingroia. Sa critique de la classe politique, de l’ensemble des élites, de Bruxelles ont des échos chez de très nombreux Italiens. Son style personnel de vrai tribun de la plèbe s’oppose à la politique de communication télévisuelle (même s’il a maintenant décidé de revenir devant les caméras). Il se construit comme l’homme de la rupture avec tout et tous. Et cela plaît. Il est l’expression d’un profond malaise démocratique que l’on ne retrouve pas qu’en Italie. Bien au contraire. C’est pourquoi depuis des années, j’explique que l’Italie n’est pas une anomalie, mais, qu’avec ces particularités, elle connaît d’importantes mutations qui affectent aussi nos démocraties européennes selon des modalités propres à chacun des pays.

Interview de Nicola Guarino pour Altritaliani.net

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Altritaliani signale:

L’Italie vers la 3ème république ? 12/02 à 18h30 Conférence-débat – Maison de l’Europe

Mardi 12 février 18h30-20h00

Rendez vous géopolitique avec l’IRIS

Conférence-débat organisée autour de Marc LAZAR, professeur des universités à Sciences Po, Fabio LIBERTI, directeur de recherche à l’IRIS et Alberto TOSCANO, journaliste italien, président du Club de la presse européenne de Paris.

Le débat sera animé par Didier BILLION, directeur adjoint de l’IRIS.

En savoir +

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Nicola Guarino
Nicola Guarino, nato ad Avellino nel 1958, ma sin dall’infanzia ha vissuto a Napoli. Giornalista, già collaboratore de L'Unità e della rivista Nord/Sud, avvocato, direttore di festival cinematografici ed esperto di linguaggio cinematografico. Oggi insegna alla Sorbona presso la facoltà di lingua e letteratura, fa parte del dipartimento di filologia romanza presso l'Università di Parigi 12 a Créteil. Attualmente vive a Parigi. E’ socio fondatore di Altritaliani.

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