Dominique Strauss-Kahn. Pas d’images, s’il vous plaît !

Je ne sais pas si Dominique Strauss-Kahn est innocent ou coupable – personne d’ailleurs ne le sait pour le moment, à l’exception de la victime présumée et de lui-même.

J’espère toutefois, je l’avoue, qu’il n’a pas commis le crime odieux qu’on lui attribue, je n’arrive pas à le croire coupable, je veux le croire innocent – ce qui n’est pas tout à fait la même chose, hélas, que dire : je crois qu’il est innocent….

Par ailleurs, s’il a vraiment commis ce crime odieux – odieux, je le répète et le souligne, car la violence des hommes contre les femmes est parmi les crimes les plus détestables qui soient, et doit être poursuivie avec la plus grande détermination –, si c’est le cas, il faudra qu’il soit condamné sans appel. C’est juste.

Mais la mise en scène photographiée, filmée, de son arrestation, puis de l’audience, avec ces images montrées à répétition, est insupportable et injuste. Non seulement parce qu’elle fait voler en éclats ce principe fondamental de la démocratie qui est la présomption d’innocence, condamnant d’avance une personne dont le crime n’a pas encore été prouvé, qui n’a pas eu de procès et qui n’a pas encore été condamnée, mais aussi parce que, me semble-t-il, elle constitue une humiliation “injuste” pour quiconque, même pour un coupable.

Il ne faut jamais porter attente à la dignité d’un être humain, qui reste tel, même s’il a commis un crime odieux, qu’il soit pauvre ou riche, connu ou inconnu. C’est en cela, d’ailleurs, que devrait résider la différence principale entre la justice de la démocratie et l’arrogance, la brutalité du crime : la première défend les victimes et leur dignité, bien sûr, mais défend aussi la dignité du coupable ; elle en empêche le lynchage.

Or, en cherchant des articles sur ce sujet pour mes étudiants dans le «Corriere della Sera» et la «Repubblica», j’ai pu mesurer la distance sidérale qui sépare la France et l’Italie, du moins en cette circonstance. (Le «Manifesto», heureusement, s’est montré plus avare d’articles “intéressants”…).

En premier lieu, j’ai été frappé par la presque totale disparition de la présomption d’innocence : dans les principaux journaux italiens, on parle de Strauss-Kahn comme si sa culpabilité avait déjà été établie. Et cette culpabilité, cela va de soi, est lue “à la Berlusconi”, c’est-à-dire avec une grille de lecture purement “satyro-sexuelle sur fond d’argent”: un scandale de ce genre excite la foule, et l’on jubile, même au-delà du “sexe”, à voir le puissant, surtout un certain type de puissant, mordre la poussière.

(Depuis, je ne peux m’empêcher de penser à Fritz Lang, Fury en particulier, et puis, plus encore qu’à Dostoïevski, à Balzac, avec ses terribles itinéraires de puissants déchus et retombés dans la poussière dont ils étaient sortis…)

Ensuite, et surtout, j’ai été violemment troublé par l’utilisation non seulement désinvolte mais pour ainsi dire scientifique des images. Les photos, les vidéos, sont exhibées sans aucun souci de pudeur, et utilisées, “étudiées” pour épier, démasquer, démontrer la culpabilité du criminel Strauss-Kahn. Et j’ai été attristé, encore ce matin, de voir Barbara Spinelli commencer un article, par ailleurs bien plus fin que tous ceux que j’avais lus jusqu’ici, par une analyse de “ce que l’on peut lire sur le visage de Dominique Strauss-Kahn – avec photo correspondante à côté, bien sûr – pendant qu’au Tribunal…” . Est-il vraiment possible de juger, de comprendre quelqu’un par le biais d’une image ?

Mais le chef-d’œuvre du genre, si l’on peut dire, reste «La fotografia di F. Merlo» : un clic, et ecce vidéo, ou mieux, un montage de photos qui défilent l’une après l’autre, à commencer par celle désormais “célèbre” de Strauss-Kahn qui sort menotté du Commissariat jusqu’à celles qui ont été prises dans la salle du Tribunal.

Photos qui évidemment ne parlent pas, sont muettes, mais voilà, “heureusement” que F. Merlo leur donne la voix : on commence par “la nuit du crime”, on continue dans la voiture de police où, avec un habile agrandissement de la photo, la voix attire notre attention sur les traces d’une opération récente que Strauss-Kahn, ou mieux, le «ceffo» (le goujat, le mufle, le sale type…) aurait faite pour éliminer ses cernes, et dai dai, zoom, encore un peu plus grand, on les voit, ces traces de cernes, que le stress – comme la voix suave s’empresse de nous l’expliquer – a fait ressortir, et l’on s’y arrête… et puis nous voilà au Tribunal. D’autres photos, et c’est encore le «ceffo», ou éventuellement – pourquoi pas ? – l’image de “la dignité”, légèrement saupoudrées de références savantes, de culture cinématographique et littéraire (F. Merlo est un intellectuel percutant mais délicat, apprécié – parfois aussi par moi-même, …jusqu’à maintenant), une touche d’ironie… et surtout un grand calme. La voix est neutre, chaude mais sans émotion, car celui qui parle se veut justement “scientifique”, et va même jusqu’à se réclamer de Lombroso, le célèbre criminologue raciste du XIX siècle qui soutenait, entre autres, que les traits criminels se transmettent de façon héréditaire…

What more is there to say? Peut-être, une prière pour la rédaction: ne créez pas de lien à cet article “oral” de F. Merlo. Qui veut le trouvera sur Google. Même, ne mettez rien d’autre. Et surtout : pas d’images, s.v.p. !

Giuseppe A. Samonà

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Giuseppe A. Samonà
Giuseppe A. Samonà, dottorato in storia delle religioni, ha pubblicato studi sul Vicino Oriente antico e sull’America indiana al tempo della Conquista. 'Quelle cose scomparse, parole' (Ilisso, 2004, con postfazione di Filippo La Porta) è la sua prima opera di narrativa. Fa parte de 'La terra della prosa', antologia di narratori italiani degli anni Zero a cura di Andrea Cortellessa (L’Orma 2014). 'I fannulloni nella valle fertile', di Albert Cossery, è la sua ultima traduzione dal francese (Einaudi 2016, con un saggio introduttivo). È stato cofondatore di Altritaliani, ed è codirettore della rivista transculturale 'ViceVersa'. Ha vissuto e insegnato a Roma, New York, Montréal e Parigi, dove vive e insegna attualmente. Non ha mai vissuto a Buenos Aires, né a Montevideo – ma sogna un giorno di poterlo fare.

1 COMMENTAIRE

  1. Dominique Strauss-Kahn. Pas d’images, s’il vous plaît !
    Bravò. Mi è piaciuto molto. E sono perfettamente d’accordo… Ma è un vizio italiano… Negli anni di tangentopoli il giustizialismo mediatico ha travolto tante vite, assolte invece dai tribunali… Ma l’assoluzione non è una notizia e quando c’è stata, sui quotidiani l’hanno liquidata nelle pagine interne, con poche righe. Da giornalista professionista dico che la nostra categoria ha molto da imparare in materia di dignità umana. Alla prossima

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