Les Abruzzes, poumon vert italien, avec carnet d’adresses

La région peut se targuer de quatre vastes parcs naturels. Invitation aux promenades, à la randonnée, à la contemplation devant des paysages superbes, c’est aussi une terre d’art et de culture qui mérite amples tours et détours, étapes et repos.

Entre mer et montagne, choisissez la montagne. Basses et moyennes montagnes. Loin de l’industrialisation de Pescara et de Chieti, des usines de verre de Vasto, des automobiles de Sulmona, de la sidérurgie aux portes de l’Aquila, du textile d’Avezzano. Nature grandiose qu’on dit. Avec ses massifs conséquents toisant la mer. Sauvage, mystique presque. Dans un contexte unifié par les Apennins, la région des Abruzzes peut se targuer de posséder quatre grandes aires protégées (trois parcs nationaux, un parc régional), et notamment le doyen des parcs, le parc national des Abruzzes, institué en 1921, dans la haute vallée du Sangro. Près de 50 000 hectares de forêt séculaire qui se déploient, peuplée d’ours, de loups, de chamois, de cerfs, de chevreuils, survolée d’oiseaux à foison, batifolée par les mammifères, colorée par une flore en transe de variétés.

A peine plus au nord s’étire le parc du Gran Sasso, classé en 1992, qui couvre quelque 160 000 hectares, arrosé par le plus grand lac artificiel de la péninsule, le lac Campotosto. Un parc ponctué de sommets, dont le Corno Grande culminant à 2 912 mètres, traversé par le haut plateau du Campo Imperatore, jalonné de glaciers, de villages fortifiés, de sites archéologiques, d’abbayes bénédictines, de cabanes en pierre. Dans un subtil équilibre entre chefs d’œuvre de la nature et de la culture, un parc dont le point de départ pourrait être dans l’encolure, à Bussi sul Tirino, dans les recoins gavés de truites sauvages de la rivière Tirino.

Le Tirino en canoé. Crédit photo Jean-Michel Véry

Une rivière à parcourir en canoé, le long d’une eau limpide. Claire comme de l’eau de roche. C’est le cas. Provenant des plus hauts sommets enneigés, elle s’enfonce dans les entrailles des roches calcaires et ressort en multiples lieux. Autant de sources d’eau filtrée par la montagne. La rivière est réputée pour être la plus propre d’Italie. A regarder de près, la réputation n’est pas usurpée. Des excursions, depuis la petite localité de San Martino, étirées sur cinq kilomètres plongent le visiteur dans les eaux cristallines, les courants tantôt tranquilles, tantôt perturbés, les creux d’une nature à peine rebelle, chahutée par les poules d’eau, des gallinacées en pagaille.

A trois jets de pierre de la rivière, l’église de San Pietro ad Oratorium, isolée, enfouie dans la vallée, présente un bel exemple d’architecture romane. Bâtie en 752, dans le passage des Lombards aux Francs, l’ensemble a été habité jusqu’en 1500, avant d’être abandonné puis seulement restauré dans les années 1960. Extrêmement sobre, l’intérieur affiche une nef soutenue de part et d’autre par six colonnes reliées d’arcades. Seules infidélités au dépouillement de l’église, une croix lombarde, une gigantesque fresque d’inspiration byzantine couvrant le chœur et représentant le Christ entouré d’apôtres, un autel surmonté de chapiteaux habillés de mosaïques en céramiques.

Château Piccolomini à Capestrano, crédit photo Jean-Michel Véry

A moins de trois jets de pierre, le bourg de Capestrano s’impose par la masse de son château médiéval dans le «centro storico», le Piccolomini. Avec deux tours circulaires embrassant la bâtisse. Renfermant les bureaux de la municipalité, abritant à l’entrée la statue du guerrier, symbole de la région, au corps étonnant : le buste masculin, le sexe et les jambes d’une femme. Stupéfiant, et grandeur nature. Au-delà de cette statue imposante, le château a l’avantage de pointer le somptueux panorama alentour, au gré des coursives.

Quittant le parc du Gran Sasso par le sud, la route nationale 17 mène au parc national de la Maiella, institué en 1995 et étendu sur plus de 75 000 hectares. Une ampleur naturelle constituée de 60 reliefs montagneux et d’importants éperons. Parmi nombre de randonnées, depuis Abbateggio, dans le vallon de Santo Spirito, des circuits balisés permettent de gagner en moins d’une heure de marche l’ermitage San Bartolomeo in Legio, à travers une faune et une flore denses, des paysages sublimes, tantôt ouverts sur les cimes du Monte Amaro et du Monte Acquaviva, tantôt plongeant sur les torrents déchirant le fond de la vallée. Un condensé du massif de la Maiella que Pline l’Ancien considérait comme “le père de la montagne”, terre de transhumances, de bâtisses fortifiées, de tours médiévales, de vallées et de plans karstiques, de terre de sangliers, d’ours bruns, de loups, de chamois, de loutres, de faucons…

Vue sur le Sirente, crédit Jean-Michel Véry

Ultime larron des parcs abruzziens, créé en 1989, le Sirente Velino, sur plus de 50 000 hectares, se présente en massifs de moyenne montagne, oscillant entre 600 mètres et 2 400 mètres d’altitude. Séparés par le haut plateau des Rocche, le monte Velino grimpe à 2 487 mètres, le Monte Sirente à 2 349 mètres. Au nord, aux portes de San Demetrio ne’Vestini, la grotte de Stiffe offre un impressionnant phénomène karstique immergée dans la végétation luxuriante, avec un torrent souterrain de 700 mètres, formant à l’intérieur de la cavité rapides et cascades spectaculaires le long des escarpements rocheux. Effets sonores et visuels garantis dans la fraîche température. En période natale, une représentation suggestive de la crèche se décline en plusieurs décors, du recensement à l’annonce aux bergers, de la Nativité à l’arrivée des Rois mages. Une féerie spirituelle aux confins des eaux.

A une dizaine de kilomètres, une autre féerie, plus austère, non moins colorée s’est réfugiée au-dessus du village de Bominaco : deux églises romanes, dernier témoignage d’un monastère bénédictin. L’abbaye de San Pellegrino, au chœur partagé de colonnes surmontées de chapiteaux présente des fresques évoquant la vie du Christ.

Paroisse Santa Maria Assunta, crédit photo Olivier Doubre

En contrebas, la petite paroisse Santa Maria Assunta, fondée au VIIIe siècle, s’enorgueillit de fresques du XIVe siècle, réalisées par trois moines, relatant la vie de différents martyrs et prophètes, de Jésus et le calendrier de Bominaco, illustré par un style courtois de tradition française. Un intérieur époustouflant de couleurs, de scènes dynamiques, tout en conservant la solennité et la sobriété du roman abruzzien.

Fontecchio, crédit photo Jean-Michel Véry

Ultime étape au cœur du poumon vert italien, le bourg médiéval de Fontecchio, perché au-dessus de la rivière Aterno. Un bourg fortifié, construit sur des ruines romaines, tout en ruptures et déclinaisons, suivant une structure annulaire, et dont la piazza del Popolo se veut le cœur, avec son café typique ouvert sur la place, sonnant comme un cliché, sa fontaine du XIVe siècle et ses gradins, l’ancien four communal, sa tour de l’horloge, unique en son genre, avec une seule aiguille, dominant les ruelles cailloutées s’enfonçant paisiblement dans le bourg, jusqu’au palais des barons Corvi. Comme une promesse à suivre. Comme une image fidèle des Abruzzes, entre paysages, art et culture.

Jean-Claude Renard

Publié en 2013 et mis à jour

Carnet d’adresses

Excursions en canoé : renseignements auprès de la coopérative Il bosso, via Gramsci – 650222 Bussi sul Tirino. Site internet : www.ilbosso.com

Grotte de Stiffe : ouvert tous les jours. Via del Mulino, 67028, San Demetrio ne’ Vestini

Où dormir :

A Abbateggio :

Il Portone, Borgo San Martino ad Abbatteggio. En pleine nature, à l’orée du parc national de la Maiella, idéalement situé au-dessus du village d’Abbateggio, un agritourisme de charme disposant d’une poignée de chambres délicieuses. Terrasse panoramique sur la vallée du Lejo. Possibilité d’y dîner, autour de produits exclusivement confectionnés sur place, entre fromages, potages maison, pasta di farro et côtes d’agneau grillées savoureuses.

www.borgosanmartino.eu

A Fontecchio :

Casa Torre del Cornone. Via Cantone della Terra, 22. Dans les replis du village avec une vue superbe dans la vallée. Outre des chambres et des appartements (notamment un joli et confortable studio dans une tour, à l’aplomb de la vallée), l’adresse propose divers services : excursions, visites guidées, vélos, cours de cuisine.

www.torrecornone.com

La Locanda del Parco. Via Palazzo. Un bed & breakfast idéalement placé dans le bourg du village. Au sein d’une vieille demeure entièrement rénovée, chambres spacieuses et claires donnant sur le parc du Sirente Vileno. Renseignements : www.locandadelparco.it 

Alle Vecchie Querce. Via Costarella 5, 67020 San Po di Fontecchio. A deux encablures de Fontecchio, à San Pio, un hameau médiéval entièrement restauré proposant la location de charmantes maisons. Renseignements : www.allevecchiequerce.it

Se restaurer :

La Braceria, via Gramsci, 15, Bussi sul Tirino. Tél. : +39 339 613 8351. Cuisine traditionnelle, du fromage de brebis à la soupe de faro, des gnochetti de pommes de terre et au safran aux brochettes d’agneau.

Il Sirente, via San Pio, Fontecchio. Tél. : +39 0862 85376.  Installé dans les murs de l’ancien couvent San Francesco, bâti au XIIè siècle, doté d’un remarquable cloître. Cadre exceptionnel pour une cuisine typique. Tagliatelle aux truffes ; pâtes au parfum de menthe et citron ; chitarra du cru, ragoût de pomme de terre, artichauts et safran ; risotto au Montepulciano pour les primi piatti. Tagliatelle de bœuf, roquette et fondue de parmesan ; agneau grillé ; filet de bœuf aux cèpes ; escalopes de porc au citron et au marsala ; petite friture de l’Adriatique pour le secondi piatti.

http://www.ristoranteilsirente.com/

VOIR AUSSI: LA TABLE DES ABRUZZES… On dirait le Sud, du même auteur

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Jean-Claude Renard
Jean-Claude Renard, journaliste à Politis et auteur, amateur passionné de gastronomie, a notamment écrit : avec Michel Portos, "Michel Portos. Le Saint-James en 65 recettes", (Flammarion, 2011) ; avec Yves Camdeborde, "Simplement bistrot" (Michel Lafon, 2008) ; avec Emmanuelle Maisonneuve, "Mots de cuisine" (Buchet-Chastel, 2005) ; "La Grande Casserole" (Fayard, 2002). "Arrière-cuisine" est paru aux éditions de la Découverte en 2014. Il a également publié "Marcello" (Fayard, 2002), "Céline, les livres de la mère" (Buchet Chastel, 2004), "Italie. Histoire, société, culture" (La Découverte, 2012), avec Olivier Doubre et "Si je sors je me perds" (éditions L'Iconoclaste, janvier 2018). Nous avons appris avec grande tristesse le décès de Jean-Claude, survenu le 31 octobre 2022 (https://www.politis.fr/articles/2022/11/en-memoire-de-jean-claude-renard-journaliste-a-politis-44997)