À nous la France ! Andrea Bajani, Caterina Bonvicini et Marco Mancassola.

Invités à la Fête du livre et des cultures italiennes à Paris, ces trois jeunes auteurs italiens ont chacun un roman qui vient de paraître en France chez Gallimard:
Andrea Bajani, Si tu retiens les fautes, Gallimard, 2009
Caterina Bonvicini, L’équilibre des requins, Gallimard, 2010
Marco Mancassola, Les limbes. Trois récits visionnaires, Gallimard, 2010.

Quelle importance a pour eux la reconnaissance du public étranger ? Vincent Raynaud, leur éditeur chez Gallimard, a modéré ce débat autour de la traduction.

fete_livre_italien_016.jpg

Vincent Raynaud : Qu’est-ce que cela signifie pour vous d’être traduits et publiés à l’étranger ?

Andrea Bajani : C’est très étrange. Dans mon dernier roman, je raconte une histoire que je croyais être de moyen intérêt pour un étranger : des Italiens partis en Roumanie pour des affaires louches. Pourtant, le lectorat français semble se sentir proche de ce que je raconte. J’ai donc compris à quel point les mots de la littérature sont universels. C’est très intéressant de se confronter à des lecteurs d’autres pays. On arrive à voir des choses de son propre pays qu’on n’aurait pas remarqué auparavant. C’est comme habiter dans un appartement insalubre : si l’on y vit tous les jours, on ne s’en rend pas compte. Ce n’est qu’en sortant, en faisant des comparaisons, que l’on peut s’en apercevoir. En plus, je peux dire que la France c’est mon pays d’adoption puisque j’y passe beaucoup de temps. Etre traduit, c’est comme avoir une autre langue et une autre maison. Plus que ça : c’est faire l’Europe.

Caterina Bonvicini : Moi, je ne connais pas le lectorat français puisque c’est mon premier livre traduit ici. Mais je peux affirmer que me sens plus Européenne qu’Italienne et j’espère que ça continuera comme ça. J’ai une idée très universelle de la littérature. Je suis contre la manie de classer les écrivains dans des groupes fermés, des « générations ». En réalité, en Italie au moins, on est tous différents, et c’est cette diversité que fait la richesse de notre littérature. Avec un point commun peut-être : le lien avec les auteurs classiques.

Marco Mancassola : Etre publié dans un autre pays, c’est une façon de montrer qui l’on est. C’est un peu comme quitter la maison de ses parents : on fait ses preuves. On a aussi le sentiment d’être mieux compris à l’extérieur que chez soi, où nos propres paroles peuvent passer pour banales. Mais, en même temps, la traduction étant un philtre, un lecteur étranger ne pourra pas saisir complètement ce qu’on a voulu transmettre. J’appelle ça la solitude fondamentale de l’écrivain : il ne pourra jamais être compris jusqu’au bout.

Vincent Raynaud : Croyez-vous que les écrivains italiens aient plus envie que les Français de raconter le réel ?

fete_livre_italien_023.jpg

Andrea Bajani : Je crois que notre génération, celle des 35-40 ans, a recommencé à croire en la littérature, au fait de s’engager à travers le langage. On se penche sur les maîtres : Faulkner, Kundera, et sur une certaine littérature engagée comme celle de Pasolini.

Caterina Bonvicini : Ça dépend de ce que vous entendez par réel. On écrit beaucoup sur la mafia, ça c’est vrai, mais je pense que c’est plus facile de parler de la mafia que de l’Italie de Berlusconi, puisqu’on ne peut pas écrire sur la vulgarité sans être vulgaire. Comment trouver les mots justes ?

Marco Mancassola : La réalité italienne d’aujourd’hui est aussi terrible que drôle : elle ne peut être que source d’inspiration ! C’est du tragi-comique au quotidien. L’assassinat de Pasolini a mis fin au modèle de l’écrivain engagé en Italie. Malgré la difficulté de le ressusciter, les choses sont en train d’évoluer dans ce sens-là. Mais la censure demeure puissante. Le problème, c’est le mutisme des intellectuels de gauche en Italie ! Il faut ressusciter cet intellectuel qui va contre le pouvoir. La tendance est aussi à une langue « belle », épurée des régionalismes d’un côté et de l’influence des médias de l’autre. Mes modèles sont les romanciers de l’après-guerre tels Fenoglio, Pavese, Calvino, qui ont su, dans leur simplicité, s’ouvrir à l’extérieur, au monde. Un écrivain simple mais cosmopolite, voilà ce que j’ai envie d’être.

Lella Tonazzini
Egalement collaboratrice de la revue LA VOCE degli italiani in Francia

Photos©Lella Tonazzini

Article précédentIntervista a Giulio Cavalli, un giullare contro la Mafia…
Article suivantVedi su Altritaliani la diretta : « RAI per una notte », trasmissione realizzata da Michele Santoro a Bologna