L’intégration sociale des immigrés italiens en France

Quel jugement peut-on porter sur le processus d’intégration sociale des italiens en France? Quelles sont les spécificités du phénomène au regard de la période historique et de la provenance des migrants? Dans quelle mesure le système d’assimilation français a-t-il influencé leur insertion sociale? Nous donnerons une réponse à toutes ces questions et à d’autres encore dans ce nouvel article de notre dossier bilingue l’Odyssée italienne vers la France.

Lien à la version de ce même article en italien

Une intégration « simple » ?

Cireurs napolitains à Marseille. Photo exposition Ciao Italia, Musée de l'Immigration Paris

Il est inutile de passer sous silence le fait que l’arrivée massive d’italiens en France a créé plus d’un problème à la population française et que le mécontentement a dégénéré en actes de violence dont nous vous rappellerons à titre d’exemples deux épisodes bien connus survenus dans le Sud du pays.

Le premier concerne la zone de Marseille avec la «chasse aux Italiens» lancée par le mouvement xénophobe dit des «Vêpres marseillaises» du 17 au 20 juin 1881 (qui fit trois morts et vingt-et-un blessés). Ce nom fait référence aux «Vêpres siciliennes»: en 1282 ce furent au contraire les italiens de Sicile qui se révoltèrent contre l’occupation de Charles 1er d’Anjou, donnant ainsi lieu à une «chasse aux Français» qui dégénéra en une véritable tuerie.

Mort aux Italiens. 1893, le massacre d'Aigues-Mortes, de Enzo Barnabà. Nouvelle edition revue 2017 (Editalie Ed.)

Le second événement eut lieu à Aigues-Mortes, dans le Gard, les 16 et 17 aout 1893. Cette petite ville fut le théâtre de graves confrontations qui dégénérèrent et conduisirent au lynchage et au massacre de saisonniers italiens de la Compagnie des Salins du Midi (on déplora au moins huit morts et plus de cinquante blessés). Le mouvement fut déclenché par les ouvriers français qui, ne parvenant pas à supporter le rythme des italiens prêts à travailler intensément dans l’unique but d’un gain économique, virent en eux la menace de la suppression de leur poste de travail et de la dégradation de leurs conditions de travail.

De 1920 à 1940, période de l’ascension et de la prise de pouvoir de Mussolini en Italie, des tensions eurent également lieu sur le sol français entre fascistes et antifascistes, pour gagner, plus ou moins violemment, la sympathie des expatriés.

*

L’insertion des italiens dans la société française de 1860 à 1960 présenta des différences et des particularités relatives aux origines précises des migrants (globalement Nord/Centre et Sud de l’Italie), au type de travail (saisonnier ou annuel) et au moment historique dans lequel le flux eut lieu.

Elle fut facilitée (à la différence de certaines autres populations immigrées en France) par certaines caractéristiques communes objectives comme la proximité linguistique, la similarité des pratiques culturelles, religieuses et de style de vie (surtout dans les campagnes), et… l’alimentation.

L’absence d’un nationalisme italien

En considérant toujours les migrants dans leur globalité, il est probable que l’absence d’un sentiment nationaliste italien ait facilité leur intégration: en effet, les migrants qui partirent durant les premières décennies de l’Etat unitaire (1861), tout comme les migrants politiques poursuivis par les autorités fascistes, ou encore ceux qui fuirent la pauvreté, ont rejeté le Pays en tant qu’organisation politique et économique et, ne ressentaient par conséquent pour l’Italie probablement rien d’autre qu’un simple patriotisme. Mussolini s’en était bien rendu compte, et avait ainsi cherché à développer un sentiment nationaliste basé sur l’héritage de la grandeur du peuple romain, en faisant de la capitale, Rome, le symbole du pouvoir fasciste. L’histoire démontra par la suite (à travers les événements suivant l’armistice du 8 septembre 1943) que ce type de nationalisme, privé d’une vraie idéologie et ne reposant que sur le charisme du Chef d’Etat et sur la violence des commandos fascistes, n’a jamais eu de racines suffisamment profondes pour survivre à la fin de la guerre. En ce sens, une phrase bien connue de Winston Churchill est significative: «Les italiens sont un peuple étrange. Un jour 45 millions de fascistes. Le lendemain 45 millions d’antifascistes et de partisans. Et pourtant ces 90 millions d’italiens n’apparaissent pas dans les recensements.»

Il est indéniable qu’il n’existe pas encore à ce jour un nationalisme italien semblable au nationalisme français mais les historiens avancent qu’il se serait manifesté à deux moments précis de l’histoire: avec les soldats au front de 1915 à 1918 et à travers la résistance partisane, antifasciste et antinazie de 1943 à 1945.

55c9f05b.jpg

Une autre donnée qui vient renforcer la thèse d’une assez rapide intégration italienne en France est le haut niveau du taux d’analphabétisme des migrants à la fin du XIXème siècle – qui dans certaines régions comme la Basilicate atteignait jusqu’à 81% – et sans différences substantielles entre le Nord et le Sud du pays. La méconnaissance de la langue nationale aurait par conséquent facilité l’apprentissage linguistique des migrants qui, dans la majeure partie des cas, passèrent directement du dialecte au français.

L’assimilation française

Les techniques d’assimilation française, déjà pratiquées dans les colonies d’outre-mer, comme l’insertion professionnelle et l’accès à l’instruction publique, surtout entre les deux guerres, ont permis la naissance de nouveaux citoyens français prêts à mettre de côté leurs propres origines italiennes (en choisissant par exemple un prénom et un nom français) afin d’accélérer le processus d’intégration.

Famiglia italiana a S.Etienne, circa 1905

S’y ajoutèrent d’autres canaux d’intégration comme la participation à la vie politique et syndicale, l’associationnisme laïque, religieux et sportif. L’assimilation française enfin, basée sur le jus soli et tendant à faire correspondre nationalité avec citoyenneté, fut pour les italiens (qui venaient d’un pays où le jus sanguinis était en vigueur) un modèle d’intégration sociale réussi. Preuve en sont les nombreuses demandes de naturalisation française avant le début de la deuxième guerre mondiale. Par ailleurs, les italiens qui s’engagèrent dans l’armée française en perspective de la guerre furent également très nombreux et, après la Libération contribuèrent à la reconstruction du Pays en toute solidarité avec les citoyens français, conquis, probablement, par le fort sentiment nationaliste français.

Les différentes provenances régionales

Néanmoins, on a pu noter de nettes différences entre la capacité d’intégration des italiens arrivés des régions transalpines et du Centre-Nord d’Italie, suffisamment proches du modèle français, et celle des italiens du Sud ayant subi la colonisation espagnole (qui dura globalement du XVIe siècle à la première moitié du siècle XIXe siècle). Ces italiens du Sud eurent à faire face à de plus grandes difficultés d’intégration de par leur culture et leur dialecte plus éloignés du français. Cependant, arrivés en France plus tard que les septentrionaux (à cheval entre deux guerres et le début du deuxième conflit mondial), ils ne trouvèrent pas dans l’hexagone une atmosphère complètement hostile car les français s’étaient déjà habitués à une massive présence italienne qui avait précédemment affronté des épisodes de xénophobie et de rejet social.

Le bilan

voyage-en-ritaliemilza1.jpg

Pierre Milza dans Voyage en Ritalie propose une interprétation originale du phénomène d’assimilation française, en le définissant comme un processus «sélectif» et en affirmant que l’intérêt et la volonté de beaucoup d’italiens de s’installer durablement facilita leur intégration dans le melting-pot français, à la différence de ceux qui continuèrent à se rendre en France seulement pour des travaux saisonniers. Milza affirme également que «le turn-over migratoire», à savoir l’arrivée en continu des italiens en France, a facilité leur intégration et leur insertion naturelle dans le tissu urbain.

Enfin, il ne faut pas sous-estimer la puissance de l’attraction culturelle entre les deux pays ni les intenses relations politiques, historiques et culturelles entres les deux peuples, fortement développées durant la Renaissance italienne, poursuivies pendant le XVIIIe siècle à travers les théories des Lumières et de la Révolution française, pour être finalement consolidées par les correspondances littéraires, éditoriales, politiques et diplomatiques massives après la campagne napoléonienne en Italie (1796-1797), et qui firent de Milan, même après la dissolution du Royaume d’Italie (1805-1814), la référence principale du nouvel Etat italien pour Paris.

Observant la situation actuelle, l’intégration effective des italiens en France et l’intérêt croissant des français pour la langue et la culture italienne ne peuvent que confirmer la réussite du processus d’intégration sociale dont nos ancêtres et leurs compatriotes français furent les coauteurs, contribuant ainsi à faire des italiens les immigrés préférés des français.

Giulia Del Grande
Traduction de l’italien par Baptiste Le Goc

 

Article précédentLa Basilica di S. Maria di Pozzano in Castellammare di Stabia
Article suivantUn’italiana all’Eliseo: Claudia Ferrazzi alla cultura.
Giulia Del Grande
Giulia Del Grande, toscana di origini, dopo una lunga permanenza in Francia, dal 2018 risiede stabilmente a Copenhagen. Dopo aver ottenuto la laurea in Relazioni Internazionali ha specializzato la sua formazione nelle relazioni culturali fra Italia e Francia in epoca moderna e contemporanea lavorando a Bordeaux come lettrice e presso varie associazioni e istituti del settore, svolgendo, in ultimo, un dottorato in co-tutela con l'Università per Stranieri di Perugia e quella di Toulouse 2 Jean Jaurès. Collabora con Altritaliani dal 2016.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

La modération des commentaires est activée. Votre commentaire peut prendre un certain temps avant d’apparaître.